The Art Loss Register – Les retrouveurs d’art


ALR’s Paul Exbrayat is interviewed in Collect magazine by Johan-Frédérik Hel Guedj:

Depuis trente ans, The Art Loss Register aide à retrouver les oeuvres volées. Nous avons rencontré Paul Exbrayat, en charge du marché français et francophone, lors de sa venue à la BRAFA.

TEXTE & PORTRAITS : JOHAN FREDERIK HEL GUEDJ

En 1978, sept tableaux sont volés dans une demeure de Boston, parmi lesquels la Bouilloire et Fruits de Paul Cézanne. En 1999, un avocat tente de revendre le tableau à travers une société-écran panaméenne. La victime du vol confie à l’Art Loss Register (ALR) la récupération des sept oeuvres. L’intervention conjointe d’ALR, de la police suisse et du FBI permet de restituer à son propriétaire le Cézanne, plus tard revendu 23, 9 millions de dollars. En 2010, on aura retrouvé les six autres pièces. Le 22 décembre 1996, une tête en marbre de Marc-Aurèle est volée avec huit autres pièces au musée de Skikda (Algérie). Les neuf pièces entrent dans la base de données d’ALR. En juin 2004, avant une vente à New York, une consultation de la base de l’ALR permet de rapprocher un portrait sur marbre romain avec l’un de ceux volés à Skikda. Interpol fait retirer la pièce de la vente et ALR et les douanes américaines coopèrent à la restitution de la tête impériale au ministère de la culture algérien. En 2000, un numismate londonien renommé achète dix monnaies rares chez Sotheby’s New-York. Il confie à FedEx l’expédition du colis à Londres. A réception, le paquet qu’il ouvre ne contient que du papier d’emballage. Le bandeau adhésif censé sceller le colis après le vol du contenu émanait de la plateforme aérienne de FedEx dans le New Jersey : les monnaies n’avaient jamais quitté les USA. L’acheteur enregistre les dix pièces dans la base d’ALR. En 2010, trois pièces valant 30 mille livres sterling réapparaissent lors d’une vente. Un numismate américain réputé affirme les avoir achetées en toute bonne foi. L’inspecteur Robert Medaglia (‘‘médaille’’ en italien…), de l’Autorité portuaire de New York, permet à ALR de récupérer les pièces pour le compte de son propriétaire légitime.

La main saine du marché
The Art Loss Register est né de l’International Foundation for Art Research (IFAR), organisme non lucratif basé à New York, qui publie à partir de 1976, Stolen Art Alert. Formellement créé en 1990 à Londres, son fondateur Julian Radcliffe, ancien broker des Lloyds, en est l’actionnaire majoritaire. Les bureaux satellites de New York, Cologne, Amsterdam et Paris sont regroupés à Londres en janvier 2010, avec une équipe de Français, d’Allemands, d’Anglais, de Néerlandais, d’Espagnols et d’Italiens. La société emploie 15 personnes (cadres et services juridiques) à Londres et, depuis 2000, une équipe de 35 techniciens à New Delhi. Aujourd’hui, la base de données de l’Art Loss Register regroupe plus 700 mille enregistrements d’objets d’art volés ou spoliés. De passage à Bruxelles, à l’occasion de la BRAFA, Paul Exbrayat souligne : « Nous sommes nés d’un constat simple des assureurs : en cas de vol, ils versaient des primes à leurs clients, mais les objets volés étaient rarement retrouvés ». Plus vaste base de données mondiale d’objets d’art volés, la société offre des services d’enregistrement, de recherche et de récupération, en recourant aux dernières technologies et à une équipe d’historiens de l’art. Son intervention est à deux étages : inciter à l’enregistrement d’objets volés et assister les professionnels du marché de l’art à contrôler l’origine des objets. L’ALR a aussi développé un service de négociation de l’indemnisation des propriétaires lésés. « En droit anglo-saxon, en cas de vol initial, la chaîne du good title peut être rompue et le titre de propriété caduc, même pour un acquéreur de bonne foi. En droit français ou belge, propriété vaut titre. Un objet acheté de bonne foi ne peut être réclamé. » Passé un délai de trois ans, l’objet appartient au dernier propriétaire de bonne foi de la chaîne, quelle qu’en soit l’origine. Toutefois, les mentalités évoluent. Et, en effet, depuis quelques années, l’objet à la provenance douteuse, perd toute valeur sur le marché. « Nous le constatons chez les collectionneurs : rares sont ceux aujourd’hui qui acceptent l’effet d’aubaine apparent que pouvait représenter ce type d’acquisition auprès d’un professionnel, c’est-à-dire dans le cadre d’une acquisition de bonne foi. En effet, qui veut prendre le risque d’acheter un objet volé ou spolié ? » En un sens, la main du marché assainit les pratiques.

L’éveil des professionnels
Le marché consulte de plus en plus The Art Loss Register. Près de 130 maisons de vente aux enchères font contrôler toutes leurs ventes, tout comme les foires internationales. « Les grandes foires, comme la TEFAF ou la BRAFA, nous demandent de confronter à notre base les objets qui vont être exposés par les marchands. Nous participons sur place aux journées de vetting [ou validation] auxquelles participent les autres catégories d’experts (comme en authenticité
par exemple), et aujourd’hui 80 % des objets de ces foires sont contrôlés. » The Art Loss egister exerce cette diligence dans les plus grandes foires, le Parcours des Mondes ou la Biennale à Paris, Art Basel, Frieze, … « Lors de chaque foire, nous décelons des objets volés ou spoliés. » Comment réagissent les intéressés ? « Ce n’est pas facile, car les marchands sont alors contraints de retirer l’objet. Nous les accompagnons dans la résolution du problème en aidant les parties à trouver un compromis.

Et il vaut toujours mieux pour le marchand que le problème soit identifié avant d’avoir revendu l’objet. En revanche, les foires sont satisfaites : le retrait discret d’un objet ne peut qu’être préférable à un scandale public. » Paul Exbrayat, ancien enquêteur de l’OCBC français (Office Central de lutte contre le trafic des Biens Culturels), où il a exercé sept ans (2009-2015), met en garde contre les fantasmes: « On entend souvent dire qu’après le trafic de stupéfiants et d’armes, l’art serait le troisième trafic mondial. Je n’ai jamais constaté de crime véritablement organisé en la matière, ces délits sont circonscrits à des acteurs individuels ou de petits groupes isolés. » L’activité de l’Art Loss Register se déploie surtout au Royaume-Uni, aux USA, en Allemagne et en Suisse. La France et le Benelux sont en retrait. Chaque année, 400 mille objets sont confrontés à la base ARL et à d’autres bases publiques sur les biens spoliés, notamment grâce à des chercheurs allemands spécialisés dans le contrôle de la provenance. « C’est un héritage des spoliations nazies, qui restent le plus grand pillage d’art de l’histoire, et du devoir de mémoire : jusqu’à peu, l’Allemagne était le seul pays au monde offrant un cursus universitaire dédié aux recherches en provenance sur les oeuvres d’art, raison pour laquelle nous comptons des experts allemands formés à ce cursus dans notre équipe. » Le Brexit modifiera-t-il la donne, sachant que les deux plus grandes maisons de vente, Sothebys et Christie’s, sont à Londres ? « Les interrogations demeurent, mais le gouvernement britannique mettra sans doute en place un mécanisme évitant au Royaume-Uni de fragiliser sa position dominante sur le marché de l’art. Rappelons que le marché est avant tout dynamique grâce aux collectionneurs et que beaucoup d’entre eux sont à Londres. Il n’est pas du tout sûr qu’ils veuillent en partir ».